– Approchez… Nous ne vous ferons aucun mal…
– (Regards inquiets.)
Une tripotée d’hommes et de femmes en blouse blanche s’affaire autour des trois individus silencieux qui viennent de pousser la porte de ma maison – j’ai à mon service toute une armée de petit scientifiques de cet acabit. Du hall, on les conduit dans la salle d’attente. Près de l’entrée, contre le mur, on a aligné trois chaises. D’immenses rideaux blancs descendent du plafond pour tomber sur un vieux parquet usé. de l’autre côté ? Pas un seul hurlement, aucun bruit de scie circulaire, ni même le cliquettement d’un bistouri ou d’un scalpel qu’on aurait maladroitement déposé sur un plateau en inox. Etrangement, un calme lourd et pénible.
– Si vous voulez bien patienter ici. Le personnel va s’occuper de vous dans quelques instants. Mettez-vous à l’aise !
– (A l’aide !)
Tout à coup, un rideau se soulève et une de mes comparses fait son apparition. Il faut la suivre. Un bégaiement gestuel anime soudainement les trois visiteurs :
– (Vous êtes sûre ? Il faut vraiment y aller ? On est peut-être pas obligés…)
Trop tard. ils sont là, dans la salle d’opération – dépouillée pour l’occasion. je vais enfin pouvoir leur présenter le fruit de mes expérimentations vestimentaires ! Mes cobayes invisibles entrent dans la pièce.
« Cintrer » une chemise, une veste et un pantalon de smoking sous la forme d’une robe de soirée ; tresser les manches de vieux chemisiers en soie pour fabriquer un top ; faire d’un grand sac en plastique ordinaire une robe doublée de soie ; broder mes vieux 33 et 45 tours sur un fond de robe en crêpe de chine, pour donner naissance à une « robe disque »…
Assisté de mes petits chercheurs, j’ai tordu, tourné, détourné, découpé, déchiré… pour fabriquer ces vêtements mutants. Quand le banal embrasse l’insolite : métamorphose !
Trois silhouettes s’éloignent dans la rue. Diagnostic : commotion esthétique.
Je m’appelle Martin Margiela, et je n’ai pas fini de vous surprendre.
Hadrien Gonzales
Photos Diane Chaudouet
Presse Samantha Garreth