Serkan Cura, le Magnifique

Dernier jour de la Haute Couture, les initiés s’empressent sur la place Baudoyer pour le défilé de Serkan. Salle comble ! L’attente est un peu longue, Romane mon accompagnateur de 5 ans mitraille les gens avec mon tél et commence à s’impatienter. Musique, ça y est le défilé commence.

Le premier modèle sort, cheveux ébouriffés et grosse natte sur le côté, dans une robe corset toute brodée à la poitrine, la jupe onctueuse faite de bandes  en je ne sais quoi. C’est ça un mannequin ? Me lance Romane. Oui oui c’est ça!

Le second en pantalon bustier argent et blanc comme des carrés brodés précède les robes corsets longues dans des tons bruns, une autre fluo et blanc, un pantalon en plume d’autruche est assorti d’une parure de perles qui ruissellent sur le buste du mannequin, une très belle robe tricotée, un grand manteau blanc en marabout sur un pantalon duchesse.

Fasciné par les créatures que nous envoie Serkan, Romane ne bouge plus jusqu’au moment où le couturier vient se faire chaudement applaudir.

Mais qu’est ce que c’était ces matières, ces plumes qu’on a du mal à discerner ?

Rendez-vous pris avec Serkan Cura dans son atelier, qu’il vient juste d’aménager.

Au 6e étage d’un immeuble moderne dans le nouveau quartier de la Bibliothèque Miterrand, il fait très chaud. Serkan me reçoit chaleureusement et me fait visiter son espace laboratoire. Le ventilateur souffle mais pas trop prêt des jeunes filles concentrées qui prennent une à une des plumes de 5mm avec une sorte de pince à épiler pour les recouvrir d’un liquide au pinceau « ce qui va empêcher la plume de s’abimer » m’explique Serkan. L’ambiance est sereine mais très concentrée. Le travail est au dixième de millimètre.

« Nous sommes une petite maison qui expérimente »  me dit-il tout en me montrant un bustier qui prend des reflets de verts incroyables,  d’un aspect étrange, assez organique, une espèce de champignon mousse. « C’est de la pointe de plumes de paons, 15mm par plume, passé à la vapeur, découpé puis re-vapeur… »

« Le manteau blanc en marabout c’est Marlène Dietrich ». Celui – ci est léger, onctueux, il est travaillé façon Serkan. Il me montre le duvet de cygne, qui ressemble à une peau de mouton blanc mais d’une légèreté et d’un toucher incroyable ! Comme la nature est bien faite.

« Cette robe corset c’est juste les 3 ou 4 plumes qui se trouvent sur la croupe du faisan doré. Il en faut des milliers pour faire la jupe longue très évasée du bas » Le toucher est très doux contrairement à ce qu’on pourrait penser, Serkan l’a travaillé, la plume est divisée en 2 puis torsadée pour créer un effet très lumineux.

« Il faut 2 ans de perdrix d’élevage pour ce pantalon structuré arlequin par des rosaces sur tulle.  Les plumes sont tombées des mues. Non on ne les arrache pas, ça leur ferait mal. On attend la mue, une fois par an. C’est comme les serpents » me dit-il tout en me montrant les stocks d’essais de plumes sur tulle, les soies du début du siècle passé, matière qu’il chine car ce sont les plus belles. Il a aussi racheté le stock de plumes du Moulin Rouge par le fabricant qui a dû fermer.

« On travaille trois mois d’abord la plume. Il y a le lavage, le triage, l’ébarbage et après l’encollage à la main. Plume par plume. C’est d’ailleurs ce que fait l’équipe studieuse qui ne décolle toujours pas de la table de travail.

La robe fluo est en plume d’oie déchirée. Il enlève la cotte centrale, les plumes vont du blanc au crème. Le toucher toujours très étonnant. « J’aime tout d’abord toucher » Une sensibilité qui lui vient de sa mère.

La robe en autruche. « C’est de la plume d’autruche qui n’existe quasiment plus. Les éleveurs recherchent plus la viande et le cuir. Du coup elles n’ont pratiquement plus de plumes les autruches d’aujourd’hui. Sauf en Afrique du Sud. J’ai trouvé un éleveur qui les laisse nature » me dit-il tout en me montrant dans une boite la vraie plume d’autruche. Elle est somptueuse. Une palette de roses, de la matité, d’une douceur inégalable, d’une rare qualité. Il me montre d’ailleurs comment on décote la plume.

Tiens cette robe c’était le premier passage du défilé. Le corset est un tissu métallique. Il provient de la Maison Mathieu qui a récemment fermée. La jupe de longues franges toutes douces, dans des tons de gris unique. « C’est du vison. » Me dit-il amusé.

« Ah la robe de mariée ; Ce sont des plumes d’oie avec un produit appliqué dessus ». Un effet qui se rapproche du latex mais ce n’en est pas. Secret.

Les parures de rêve sont aussi faites dans son atelier.

« L’ensemble argent et blanc ce sont des plumes coupées et recouvertes de feuilles d’argent. Il faut d’ailleurs 4 000 feuilles d’argent pour faire ce tailleur.

Né à Anvers, Serkan fait donc l’Académie d’Anvers. Il arrive en 2007 à Paris chez Jean Paul Gaultier. « J’aime réaliser des rêves. Alors le matin Jean Paul me disait « Je veux un rêve » alors je lui faisais un rêve tous les jours ».

Ses origines turques font qu’il fait d’ailleurs fabriquer à Kayserie.

Un shopping  revient de la presse, Serkan l’ausculte et en 3 secondes diagnostique les 2 minuscules ailes de scarabée manquantes. Une veste qui prend des reflets bleus aux verts métalliques. Sublime. « Yann Fabre a recouvert le plafond royal Belge de ce scarabée ». me dit-il.

Il aime d’ailleurs Charles James, Thierry Mugler et Alexander Mc Queen.

Porter une création de Serkan Cura c’est faire un petit tour du monde merveilleux qui nous entoure et c’est aussi se sentir cajolé par les petites mains qui font un travail époustouflant. Un véritable poème d’un collectionneur passionné, enchanteur. Sublime Serkan.

Mfb

Photos Eliahou Haziza

Presse Kuki de Salvertes – Charles Cuvillier / Totem

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