La simple sonorité de son nom inspire. Un univers à la fois profane et mystique, marqué de symboles, d’éléments organiques et minéraux. Une spiritualité plus abstraite, que religieuse. Lui, c’est Konstantin Kofta. Un jeune designer Ukrainien installé à Kiev, tout droit sorti des bancs de la Saint Martins qui n’en finit plus de nous étonner.
Dans l’alcôve de fer et béton qui lui est dédiée chez Stealth Projekt, son corps est là. Ses yeux, absents. A quoi pense-il, si fort ? «Konstantin ?» Il soulève la tête, sa bouche dessine un sourire triste. Trois secondes d’arrêt. «C’est moi.» Ouf !
C’est la première fois que je le rencontre, mais ses créations me sont familières tant ses accessoires sont empreints d’une identité aussi forte que singulière. Les premières collections d’un créateur, il faut toujours les prendre comme les dernières. Tout ce qui y est important par la suite, y est déjà. Même si c’est entre les mots. Et c’est non sans émotion que l’on redécouvre l’aspect antique des textures, l’avant-garde et l’hyper-sensibilité des créations du jeune designer sur une série de chaussures et de sacs extraordinaires.
Cette saison, il est surtout question de trace, d’empreinte. «Comme pour se souvenir que derrière chaque pas, un homme a marché.» me lance-t-il. Revenir sur ses pas, recommencer l’histoire. L’immortaliser. La mémoire comme leitmotiv. Pas étonnant qu’il utilise cette propriété du cuir, pour mouler toutes les choses auxquelles il insuffle une seconde vie.
Les sacs en dalles d’égouts, murs de briques et planches de bois ne font que protéger la mémoire de l’homme qui se cache derrière, celui qui a posé cette plaque, cimenté cette pierre, clouté la planche. Dernières traces visibles d’un homme qui a apporté sa pierre à l’édifice et dont le créateur rend hommage en créant à son tour. «C’est toujours par la fin que les choses commencent.», comme il dit.
Les surfaces du cuir sont moins lisses que les collections précédentes. Elles semblent s’être frottées à la pierre. Ou peut-être au temps auquel elles résistent toujours. Certaines chaussures en fourrures rasées semblent même avoir été volontairement enduites de lave pour ne pas perdre de leur majesté dans cent ans. D’autres portent déjà leur âge, entrecoupées de fines plaques de rouilles souples. Chaque modèle crie son évidence. Aussi bien dans son esthétisme que dans sa mettabilité, chose rare dès que l’on touche quelque chose d’aussi nouveau.
Plus qu’une simple collection, un environnement futuriste et terriblement humain que Kofta met en scène comme une installation artistique qui prend aux tripes. A l’image de ses propres pieds, moulés à la veine près et posés sur une épaisse couche de résine noire, pas tout à fait sèche. «Ce n’est pas fini» dit-il.
Kofta enchaîne, sa voix posée au bord des mots: «Rien n’est éternel. Mais rien ne disparaît sans laisser de traces.» Une chose est sure. Lui, laisse une de ses plus belles empreintes de créateur et le parfum rare d’une avant-garde aussi belle que viscérale.
Jean Charles Cohen
Photos Jeremy Mathur
Showroom Stealth Projekt