Dès l’entrée Moebius nous reçoit. Plaqué sur les baies vitrées de la fondation Cartier, la main du dessinateur relie le cerveau du concepteur par une espèce de cordon ombilical transformé en dragon. Génial. Jean Giraud alias Gir ou Moebius œuvre humblement sur sa table de travail.
Dans la grande salle, les visiteurs se penchent sur des planches de bande dessinée, des dessins inédits, des carnets originaux tout en écoutant la voix du génie sur des micros élégamment suspendus au plafond. « Le dessin permet de mettre en image des choses qui sont purement abstraites, du domaine de l’invisible ». Nous dit-il. Des dessins sélectionnés parmi les nombreux personnages de ce grand dessinateur. Signés Gir pour Blueberry un travail de westerns hollywoodiens qui amorce déjà sa pensée chamanique et qu’il crée juste après son séjour au Mexique chez sa mère. Signés aussi et surtout Moebius qu’il produit en même temps en 1962 et qui va lui permettre d’explorer l’univers de la science fiction et du rêve. Le Major Grubert, Arzach, John Difool, Stel et Atan.
Le style de Moebius est aussi dans ses créations vestimentaires. Des croquis sur les costumes bio-électroniques qu’il a dessinés pour Tron. Designer on pourrait dire de lui qu’il a un style dépouillé, parfois organique, toujours avec du sens, de la beauté, de la grâce et de l’élégance.
« Si vous voulez voir la projection c’est maintenant » nous lance un des guides. Nous descendons quelques marches, une hôtesse nous tend des lunettes 3D. Le film d’animation « La planète encore » commence. Et là ! Un véritable bain de plaisir qui dure à peine 8mn. Du Moebius sublime dans sa vision de l’esthétique et de la transformation, marqué par la figure chamanique, passage à l’infinité, avec une pensée mystique, symbolique, surréaliste, philosophique, psychanalytique et organique. Du pur plaisir pour les sens et l’esprit.
Pour se remettre de cet état de choc devant tant de beauté, nous descendons encore quelques marches. La scénographie de la grande salle du sous-sol permet aux visiteurs de s’amuser à travers les œuvres, l’univers de l’artiste. De grandes peintures ou de grands dessins au mur, des miniatures illuminées sur des colonnes. Les créatures sous-marines qu’il a inventées pour Abyss de James Cameron sont projetées sur un mur noir et côtoient une femme à sexe d’homme ou une peinture organique. Des autoportraits inspirés de son livre de chevet « L’Art de rêver » de Carlos Castaneda nous amènent au cœur du chamanisme.
Moebius a crée un monde à lui tout en étant ouvert au monde réel. Il nourrit la science et répond aux phantasmes des scientifiques. La Fondation Cartier l’a confronté lors d’une soirée nomade avec le biologiste Hervé Le Guyader. Jean annonce la couleur tout de suite « Tout ce qui concerne l’art, la création, le jeu, l’éphémère, je suis pour » Quand il lui demande comment cette créature venue de Mars pouvait se déplacer avec toutes ses pattes et surtout celle de devant, Jean lui répond « Il se déplace avec beaucoup de subtilité, des pas glissés, des pas sautés …» Devant une autre créature « Ce sont des animaux fixés qui se détachent au moment de la maturité » ou « Je l’aime bien lui car il est en train de s’autodétruire mais il fallait le faire pour les autres » « Et lui ? Une cornemuse flottante ». Transformation, mutation, métamorphose. Un entretien magnifique entre deux hommes venus d’un autre monde, l’un scientifique, l’autre artiste et où l’absurde côtoyait le réel avec beaucoup de finesse, d’humour et d’ouverture.
L’ouverture c’est aussi ce que nous amène Jean. En créant Métal Hurlant il a ouvert les portes de la bande dessinée, montré aux jeunes de nouvelles voies. Il créé pour les autres, pour la conscience collective, il nous éclaire sur les nouveaux chemins à prendre. Il aime profondément la vie, la nature, l’humain. Il nous émerveille.
Passer à côté de Moebius c’est comme passer à côté de la Joconde me lance mon accompagnateur.
Mfb
Fondation Cartier du 12 Octobre 2010 au 13 Mars 2011
Jean Giraud vient de nous quitter ce samedi 10 Mars 2012