Azzedine Alaïa: Sultanesque.

« J’ai la liberté d’un pauvre qui vit dans de bonnes conditions. » Azzedine Alaïa

De lui on pensait qu’il était un petit génie du modélisme, petit homme discret tout en étant connu de toute la planète.

Par cette exposition, on comprend l’œuvre, les temps forts et le personnage bien plus complexe, Azzedine Alaïa.

Tunis 1950, Azzedine a 15 ans: « Madame Pineau était pour moi comme une seconde mère… Chez elle, je dévorais les catalogues, les revues de médecin avec leurs reproductions d’œuvres d’art et les quelques magazines de mode où je me souviens avoir admiré des modèles de Dior et de Balenciaga. « Je me demandais comment tenaient ces robes. » Parce qu’elle avait senti que j’avais des prédispositions artistiques, Mme Pineau a menti au directeur de l’École des Beaux-Arts en jurant que j’avais bien seize ans. Elle m’a poussé à m’inscrire au concours d’entrée à quinze ans, sans que mon père soit au courant. « On n’était que quatre arabes à se présenter. » Afin de payer mes fournitures, je passais mes nuits à surfiler des robes pour une couturière de quartier. J’ai appris les points en réalisant les exercices de couture de ma sœur Hafida qui n’avait pas de goût pour les travaux manuels ».

1960 : Sur les conseils de la mère de Leïla Menchari son amie peintre artiste qui a rendu célèbres les vitrines d’Hermès, Azzedine part s’installer à Paris. Il démarre dans les ateliers Dior et non pas le studio qu’on lui avait proposé. « Par les fenêtres de chez Dior, je sentais les odeurs de parfum, je voyais les vendeuses toutes de noir vêtues et portant un fin collier de perles. J’adorais tout ça. Bien que renvoyé au bout de cinq jours, j’avais le sentiment d’avoir tout vu, tout saisi. »

Sa rencontre avec Arletty ancrera sa vision créatrice de la parisienne. « C’est elle qui m’a donné l’idée de faire des bodies moulants. Elle avait pour habitude d’ajuster l’ampleur de sa jupe avec une épingle. « Ça tombe trop bien disait-elle. Il faut que ça déconne un peu. » Avec Arletty, j’ai appris davantage les astuces que l’on n’enseigne pas sur le chic parisien, elle m’a beaucoup influencé. Ma robe zippée qui tourne autour du corps est née de celle qu’elle porte dans Hôtel du Nord. Ses mots d’esprit, son effronterie et son insolence m’ont dicté des principes. Elle disait souvent être « vierge de toute décoration ». Cela m’a motivé à supprimer les bijoux et les accessoires de mes collections pour privilégier le vêtement nu. Elle était si simple, si pleine de grandeur, populaire et majestueuse. Arletty incarne la Parisienne.»

En 1962, après avoir travaillé dans les ateliers de Guy Laroche et habillé quelques dames de la haute société Azzedine Alaïa décide d’ouvrir son propre atelier. Rencontre avec Louise de Vilmorin qui devient une amie chère. « La première fois que nous nous sommes vus, ayant peur d’écorcher mon nom, elle me le fit écrire sur un papier qu’elle glissa dans son sac d’un air entendu, ajoutant : « L’affaire est dans le sac » !

À son contact, j’ai appris en quoi le chic parisien était une affaire de trucs. Un soir que Louise de Vilmorin devait se rendre à un dîner, elle me sollicita pour l’aider à peaufiner son allure. Chez une concierge de sa connaissance, elle se souvenait avoir vu un cardigan qui provenait d’un grand magasin type Prisunic que nous avons acheté. Nous avons remplacé les boutons par de plus fiers en métal et avons ajouté autour du cou de Louise un long sautoir de pacotille qu’elle tortilla et enfila dans la poche. C’était la démonstration en quelques secondes d’un chic fou que beaucoup lui envièrent ce soir-là.»

1971. Devenu couturier pour une clientèle privée Azzedine habille aussi Greta Garbo. « Elle était venue avec une amie, Cécile de Rothschild, et souhaitait que je lui réalise un manteau très large. Je me souviens des quelques séances d’essayage et prises de mesure. Le manteau n’était jamais assez large à son goût. Alors que nous étions en pleine période étriquée, les années 1970, j’ai dû lui confectionner un manteau immense, bleu marine, avec des revers aux manches. (…) Dans les années 1980 et 1990, j’ai souvent présenté d’amples manteaux aux épaules généreuses qui sont sans doute des allusions à Garbo, à son style inimitable et avant-gardiste…(…) Vouloir construire une ampleur juste est une technique aussi complexe que les autres. Cela demande une bonne arithmétique. Aujourd’hui, les redingotes sont plus ajustées, les pantalons tombent plus droit, mais ces allures de garçon curé sont toujours proches du vestiaire masculin que Garbo portait avec grâce. »

1979 Tout en continuant d’habiller sa clientèle privée, Azzedine collabore avec différents créateurs, dont Thierry Mugler qui reconnait tout de suite en lui le maître et l’encourage à se lancer.

1981 Azzedine Alaïa fait son premier défilé rue de Bellechasse entre salon et cuisine. La presse du monde entier en parle et produira des images qui resteront dans les mémoires collectives. Une réponse au désir de féminité ? Aïe Aïe Aïe diront certains. Oui, une nouvelle femme est née à Paris, celle d’ Alaïa. Incarnée sublimement par les sultanes Naomi Campbell, Farida Khelfa, Veronica Webb, Stephanie Seymour, Marie-Sophie Wilson, Grace Jones et bien d’autres.

« Si je n’ai pas un mannequin sous les yeux, je n’ai pas d’idée. J’ai besoin de leurs corps à proximité.»

Ces corps qu’il sculpte vont l’amener à redéfinir une Haute couture.

Le cuir il l’interprète comme un tissu Haute couture mais dans un esprit punk. Du jean, il en sort des robes raffinées pour courir le bitume. La maille qu’il sculpte, sera son fer de lance en innovation; du lycra aux mailles bouillies ou encore aux matières duveteuses inspirées des houppettes du XIXe siècle.

« La haute couture selon moi n’est pas simplement une histoire de technique ou de label, ce doit être un esprit de pointe. »

Le monde de la mode est à ses genoux.

Ce qu’il pense d’ailleurs de la mode ? « Je n’ai jamais suivi la mode. Ce sont les femmes qui ont dicté ma conduite. (…) Au fil des années, j’ai suivi l’enseignement de leur silhouette. L’épaule est essentielle, la taille primordiale. La cambrure des reins et le derrière sont capitaux. La poitrine, on s’en arrange toujours. Le cou, s’il est court, doit être flatté par un col haut et de petites épaulettes. »

Electron libre de la fashion sphère, Azzedine Alaïa présente quand il veut ses collections. Il prend son temps, d’ailleurs on l’attend en toute sérénité.

« J’ai effacé les dates, pas les souvenirs »

Du côté des décorations officielles, une liberté totale aussi «Au fil de ma carrière, plusieurs ministres de la Culture ont souhaité m’épingler des décorations qui font honneur. À eux tous, avec beaucoup de gentillesse et de sincérité, j’ai invariablement répondu avoir eu la plus belle des récompenses le jour où j’ai reçu la carte de naturalisation française »

Il avoue aussi que « le témoin fort de sa réalisation accomplie de couturier parisien » a été la robe bleu blanc rouge portée par Jessye Norman chantant La Marseillaise, lors du bicentenaire de la révolution française orchestré par JP Goude.

Les musées très prisés du monde entier le sollicitent, mais aujourd’hui c’est l’éminent Olivier Saillard qui pour la réouverture du Palais Galliera, l’honore.

Une scénographie sobre pour s’émouvoir sur les créations de celui qui pense qu’« Une femme est comme une actrice : toujours en scène. Elle doit être belle et se sentir bien… »

Un hommage mérité pour un grand défenseur de Madeleine Vionnet et Paul Poiret dont il distille la grâce et le mouvement libre, pour le relayeur de Mme Grès, avec une grande admiration réciproque, pour celui qui habille des plus élégantes aux premières dames comme Michèle Obama osant poser français sur une photo officielle de famille.

Venu des Mille et Une Nuits nous conter le quotidien de sultanes effrontées, mi punk mi parisiennes « Aux vêtements nus ».

Voilà un peu qui se cache derrière ce petit bonhomme à l’attitude humble d’un serviteur et au regard scintillant… d’un sultan.

Mfb

Exposition Alaïa Palais Galliera et Musée d’Art Moderne, salle Matisse – du 28 sept 2013 au 26 Janv 2014.

 

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