STEPHEN JONES – LE MAGICIEN

Stephen-Jones Chapeaux-d’Artiste Palais-Galliera-2024

Qui l’eut cru ? Un modiste sacré au Palais Galliera à l’heure où le chapeau occupe si peu de place dans le vestiaire contemporain.

Quarante ans ont passés depuis la fameuse exposition au musée de Mme Paulette, la star du chapeau des années où il était encore considéré comme un accessoire essentiel pour les hommes et les femmes.

Stephen Jones relève avec brio ce défi car en tant que modiste sa passion du chapeau lui a servi non seulement à le travailler dans les règles de l’art mais aussi à exprimer son goût du porter et sa proximité avec le monde de l’art.

Enfance près de Liverpool puis dans le Berkshire avec comme poésie la mer ou le ciel, Stephen Jones est par son père ingénieur, plutôt studieux et par sa mère, rêveur. Celle-ci le familiarise à l’Art en le baladant dans les musées en Angleterre mais aussi en France, pays dont il s’éprend dès son plus jeune âge.

Très tôt, il s’oriente vers l’art et fait la St Martin’s School of Art à Londres. Un de ses professeurs Peter Lewis-Crown qui est le directeur d’une des plus vieilles maisons de couture londonienne, la maison Lachasse, l’intègre en tant que stagiaire. Il y découvre l’art du modiste dans l’atelier de chapeaux dirigé par Shirley Hex qui a aussi formé Philip Treacy.

LES DÉBUTS DE SA CARRIÈRE A LONDRES

En 1979, tout juste diplômé, Stephen Jones côtoie grâce à son amie bijoutière Dinny Hall, les figures emblématiques du mouvement musical, les Nouveaux Romantiques. Incarné notamment par les groupes Spandau Ballet ou Visage. Le chanteur de ce groupe Steve Strange, qui sera d’ailleurs son premier client, organise des soirées au Blitz Club à Covent Garden. Ce mouvement musical est caractérisé par un style vestimentaire inspiré du glam rock de David Bowie ou de Roxy Music.

Les clients sont des Blitz Kids, étudiants de la St Martin’s School ainsi que des figures emblématiques, Kim Bowen, Stephen Linard ou Boy Georges. Un mouvement fort qui permet à Stephen Jones de réaliser en toute créativité ce qui le passionne, le chapeau. En 1980, Steve Strange et Princess Julia qui travaillent en journée dans la boutique PX à Covent Garden le présentent aux propriétaires qui lui font ouvrir son premier salon au sous-sol.

Il collabore alors avec Susanne Bartsch, productrice d’évènements mode à Tokyo et New York, Rhoda Ribner acheteuse chez Bloomingdale’s, Anna Harvey rédactrice Vogue ainsi que les stylistes anglais dont Zandra Rhodes ou encore Jasper Conran. Celui-ci le convie à son studio pour lui présenter celle qu’il désigne comme une cliente « très spéciale » sans la nommer, Lady Diana. Du royal, du chic, de l’excentrique Stephen Jones utilise le chapeau comme un langage pour une clientèle multiculturelle.

Si Londres connait la double influence des mouvements Punk et des Nouveaux Romantiques, il constate néanmoins que le chapeau n’est plus tant porté. Alors qu’il reste très présent sur les défilés de mode à Paris, notamment dans les maisons Givenchy ou Dior, qui lui font affirmer aujourd’hui que l’art du couvre-chef est bien français et non pas anglais.

LONDRES-PARIS STEPHEN JONES CHAPEAUX D’ARTISTE

Il lui faudra d’ailleurs peu de temps pour réaliser son rêve. Paris. En 1983 Jean Paul Gaultier qui fréquentait le Blitz le voit coiffé d’un fez sur le clip de Boy Georges « Culture Club – Do You Really Want to Hurt me » et l’invite à défiler à Paris. Mais manque de chance, il se casse la jambe. Ce ne sera que partie remise puisqu’il lui demandera de décliner le fez pour sa nouvelle collection printemps-été 1984. Un lancement parisien triple puisque la même année Mugler programme son show d’exception pour les dix ans de la marque avec 6 000 spectateurs au Zénith et que Rei Kawakubo lui propose aussi de créer les chapeaux de sa nouvelle collection, printemps-été 1984.   

Aujourd’hui Stephen Jones a trois lignes pour ses chapeaux. Model Millinery pour une clientèle de luxe, Miss Jones et Jones Boy axés fashion pour la femme et l’homme. Il a son propre parfum Stéphane Jones/Comme des Garçons, il dirige aussi le département haute mode de Christian Dior qui est la haute couture du chapeau. S’il collabore avec les grands noms de la musique, il est surtout devenu le modiste incontournable des marques de luxe ou pointu.

Sa faculté à prendre du plaisir à les interpréter est un talent qu’il doit à sa passion pour les arts, la vie, les gens, le mouvement.

SES RELATIONS AVEC LES COUTURIERS, DESIGNERS, CRÉATEURS

Jean Paul Gaultier:

« Ces vingt-cinq variations autour d’un fez sont un immense succès et mon sésame dans la mode » Stephen Jones

Thierry Mugler :

 « Thierry croquait quelques chapeaux pour chaque thème de la collection et m’invitait, à partir de là, à créer tout un panel…nous faisions tous les chapeaux et, la veille du spectacle, nous recevions un coup de téléphone nous disant qu’en fait, toutes les couleurs avaient changé. …Il fallait vraiment y passer la nuit et faire preuve de beaucoup d’ingéniosité »

Azzedine Alaïa :

Quand en 1983 son amie Sibylle de St Phalle le présente à Alaïa celui-ci qui ne nécessite pas encore de coiffe le présente à Mugler pour son grand show. Ce sera deux décennies plus tard en 2004 qu’ils collaboreront. « Je plaçais un chapeau devant Azzedine, je reculais et je l’ajustais de façon moins évidente. Il appelait cela – le chic et le chapeau – »

Comme des Garçons :

C’est lors d’un diner à Tokyo en 1983 qu’il rencontre Rei Kawakubo qui le considère comme « un gentleman anglais ». Leur collaboration sur les défilés durera une trentaine d’années, avec la création d’un parfum et sa présence dans les magasins du groupe Dover Street Market.  « Pour elle, le plus important est l’élément de surprise. Elle attend de moi que je la surprenne, que ce que je propose ne soit pas prévisible ou que cela n’aille pas forcément avec le vêtement » Stephen Jones

Claude Montana :

Son premier engagement avec ce créateur puriste, marquera le coup d’arrêt avec Thierry Mugler (1986). Ils travailleront ensemble, jusqu’à la fermeture de la maison Montana en 2002. Une collaboration qui lui a permis aussi de1990 à 1992 de le suivre sur Lanvin lorsqu’il en est le directeur artistique. « …Il imaginait un nouveau look auquel je contribuais. Je pense qu’il recherchait une plus grande discrétion, la précision, la perfection, une manière de rompre avec l’extravagance du début des années 1980. Souvent, les chapeaux se réduisaient à une simple passe, voire une simple ligne, comme sur un dessin d’Antonio. Et pour atteindre cette simplicité et cette élégance, Montana m’obligeait à tout refaire, encore et encore, de manière obsessionnelle. » Stephen Jones

John Galliano

La rencontre de deux artistes. C’est en Novembre 1993 que Steven Robinson, l’alter ego de John Galliano, contacte Stephen Jones pour leur prochain défilé « Princess Lucretia ». Dès lors, une collaboration très étroite entre ces deux artistes va se tisser, John l’entraîne deux ans plus tard chez Givenchy, puis chez Christian Dior à sa nomination.

Pour le modiste, la présentation des chapeaux au couturier n’était pas sans angoisse « C’était un saut dans le vide : « Est-ce que je vais y arriver ou pas ? » Ces chapeaux jouaient un rôle si fondamental. John commençait à me dire ce qu’il avait en tête, en décrivant l’histoire de chaque fille. Parfois, les chapeaux et les chaussures étaient conçus en premier, puis il complétait la tenue, mais il n’y avait jamais qu’un seul type de femme qui défilait »

Ce que dit John Galliano de lui ?

« Je travaille avec Stephen un peu comme avec tous mes collaborateurs : Il y a d’abord l’inspiration, puis nous imaginons les personnages, puis nous allons chercher loin dans le détail, une figure qui prend vie, le parfum qu’elle porte ou encore une promenade dans une ville côtière – quelque chose qui évoque chacun des sens. Stephen saisit tout cela, notamment la ligne. Toutes les composantes du personnage et toujours, la ligne. Il a le sens des proportions et du volume ; il collabore très étroitement avec les coiffeurs, que ce soit pour empiler des éléments animaux dans une chevelure ou déterminer la hauteur d’un chapeau et son angle. Tout cela renforce l’assurance du mannequin. »

Walter Van Beirendonck

Très tôt, en 1988 Stephen Jones a été découvert par Geert Bruloot, celui qui a lancé la première boutique des « Six d’Anvers » dont Walter Van Beirendonck fait partie. Mais sa collaboration avec le créateur ne débutera qu’en 1997 pour sa collection Avatar. Depuis, leur longue coopération témoigne d’une entente artistique détonante. « Walter veut que vous le suiviez, et il est très déstabilisé si quelque chose de différent est jeté sur la table. Mais c’est ce que je fais – j’essaie de le faire sortir de sa zone de confort » Stephen Jones

Thom Browne

C’est en 2014 que l’aventure a commencé entre ces deux artistes. Thom est une figure du tayloring qui s’inspire des costumes de la bourgeoisie à différentes époques. Il étonne toujours dans ses shows par sa narration artistique. Tous deux attachés à la rigueur et à la création, leur complicité apporte beaucoup de fantasmagorie que Thom cultive dans ses shows.

« Chaque chapeau est conçu pour une tenue spécifique et nous passons beaucoup de temps à faire des recherches. Ce qui est intéressant c’est de constater à quel point il est prêt à consacrer du temps et de l’argent pour des chapeaux. » Stephen Jones

Louis Vuitton par Marc Jacobs

C’est en 2006 que le modiste s’implique chez Louis Vuitton dirigé alors par Marc Jacobs. Son travail marquera les esprits notamment pour le show de l’automne-hiver 2012 qui met en scène des mannequins qui descendent d’un train à vapeur, portant de hauts chapeaux inspirés par Anna Piaggi et accompagnées par des porteurs pour les bagages.

« C’est l’un des grands avantages de la collaboration avec Vuitton. Les chapeaux sont à la fois beaux et agréables à porter. L’idée de quelque chose de léger et confortable, mais toujours spectaculaire, est pour moi la définition du luxe. » Stephen Jones

Schiaparelli

C’est en 2014, deux ans après la renaissance de la marque en 2012, qu’il collabore avec les différents directeurs artistiques qui se sont succédés. Avec Daniel Roseberry qu’il a connu lorsqu’il était chez Thom Browne, ils cultivent l’esprit d’Elsa Schiaparelli qui accordait beaucoup d’importance à l’accessoire et notamment au chapeau. L’esprit surréaliste est un jeu que le modiste aime interpréter notamment pour l’emblématique chapeau-chaussure de Dali.

Tel est le parcours de cet homme que l’on voit régulièrement dans les backstages ajuster un chapeau avec des coiffeurs en toute humilité.

Stephen-Jones Chapeaux-d’Artiste Palais-Galliera-2024

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